ÉTUDE SUR LES COÛTS DE CONSTRUCTION DE DESJARDINS — LA COOPÉRATIVE BLÂME LE SALAIRE DES TRAVAILLEURS — LE LOCAL 791 REMET LES PENDULES À L’HEURE.


Desjardins est plus qu’une institution financière. C’est une coopérative dont des milliers de nos membres sont copropriétaires.
À ce titre, nous avons une attente : des analyses crédibles, rigoureuses, et socialement responsables.

Dans votre récente publication, vous affirmez que la hausse des coûts en construction serait « largement attribuable aux salaires ».
Nous devons corriger — calmement, mais fermement — ce récit incomplet.


Ce que les chiffres démontrent, et que votre conclusion contredit

Disons le simplement, depuis 2019 :

  • Coûts de construction : +66 %
  • Salaires : ≈ +8 %

La logique économique de base dit ceci :
un facteur qui croît faiblement n’explique pas un choc majeur.

En traitant ces deux variables comme si elles évoluaient en tandem, votre étude confond corrélation et causalité — l’erreur la plus élémentaire en analyse économique.

Une omission majeure : la part réelle DU POIDS FINANCIER de la main-d’œuvre

Le coût de la main-d’œuvre = 20 % à 40 % du total des dépenses d’une entreprise de construction selon l’agrégateur Construction Labor Market Analyzer. Ce n’est pas nous qui le disons. Avec une telle pondération, pour que les salaires produisent un choc de +66 %, il faudrait une hausse salariale qui n’a certainement pas eu lieu.

En d’autres mots :

Votre modèle attribue aux salaires un pouvoir économique qu’ils n’ont pas.

Cela signifie que l’essentiel des coûts — 60 % à 80 % — se situe ailleurs :

  • Marges des promoteurs
  • Retards et reprises dus à la gestion
  • Sous-traitance en cascade
  • Plans mal montés
  • Logistique déficiente
  • Financement dispendieux

Une étude rigoureuse doit explorer ces facteurs au moins autant que les salaires.


Ce que vous nommez « productivité » : regardons-la sans détour

Oui, la productivité a reculé. Mais pourquoi ?

Voici les données que nous vivons sur le terrain :

1 — Une rétention catastrophique = perte d’efficacité

Chaque année, des milliers de travailleurs quittent l’industrie plus vite que la relève ne la rejoint. En 2022-2023, nous avons perdu 28 876 ouvriers et ouvrières (actifs devenus inactifs), pendant que 25 581 devenaient actifs. Perdre son monde, c’est perdre :

  • le savoir-faire collectif
  • la stabilité des équipes
  • le rythme d’exécution

Un chantier mal organisé ne performe pas — même si tout le monde est motivé.

2 — Moins de diplômés dans un secteur plus technique

La complexité augmente, mais la formation et la relève ne suivent pas. Selon un article du Institut du Québec (IDQ), la proportion de nouveaux travailleurs de la construction sans Diplôme d’études professionnelles (DEP) est passée de 43 % en 2014 à 75 % en 2023. Autrement dit, seulement 25 % des nouveaux entrants dans le secteur avaient un diplôme spécifique (DEP) en 2023.

Pourtant, on exige toujours plus…
Sans offrir le temps ni les conditions pour apprendre convenablement.

Résultat :

  • erreurs
  • reprises
  • délais
  • coûts

C’est le cœur des coûts… Et c’est invisible dans votre conclusion.

3 — Mise en production immédiate : « Apprends vite ou déguerpis»

Parce que la formation n’est pas payée à plein salaire et mal planifiée, on apprend en production, sur le vif.
C’est la pire façon d’augmenter la productivité, mais la meilleure pour augmenter les risques.

4 — Appels d’offres au plus bas prix = surcoûts cachés

Le modèle actuel favorise :

  • moins de préparation
  • plus de sous-traitance
  • plus de gestion de crise

Ce qui coûte souvent beaucoup plus cher que de payer correctement le travail.

Bref : la baisse de productivité est un problème de système, pas de salaire.


Ce que vivent nos membres

Entre 2021 et 2024 :

  • hausses salariales = rattrapage, non gain
  • inflation = amputation du pouvoir d’achat
  • exigeance du métier = à la hausse
  • risques au travail = constamment élevés
    (≈ 30 % des décès au travail pour seulement ~5 % de la main d’oeuvre)

Alors, qui profite de la hausse des coûts ?
Pas celui ou celle qui tient le levier de contrôle d’une pelle mécanique.

Présenter cette période comme une « pression salariale excessive » n’est pas une conclusion rigoureuse — c’est une contorsion narrative.

Le risque d’un mauvais message public

Lorsque l’on isole les salaires comme principal moteur de la hausse des coûts, on crée une conclusion dangereuse :

« La solution serait de restreindre les hausses salariales. »

Ce type de message donne un avantage immérité aux arguments patronaux et fragilise la confiance du public envers un secteur où :

  • les risques sont élevés
  • les réalités de terrain sont exigeantes
  • la stabilité de main-d’œuvre est déjà difficile à assurer

Une invitation claire à Desjardins

Parce que vous êtes une coopérative — et parce qu’une grande partie de votre base est constituée de travailleuses et travailleurs — nous vous invitons à :

  1. Élargir l’analyse aux autres déterminants majeurs des coûts de construction
  2. Présenter avec nuance le rôle des salaires dans un marché plus vaste et complexe
  3. Éviter de donner prise à des simplifications qui fragilisent les revendications légitimes des travailleurs
  4. Renforcer le discours patronal sans chercher une quelconque forme d’équilibre.

Nous serons toujours disponibles pour échanger de bonne foi.

Nous croyons que nos expertises terrain peuvent enrichir vos analyses. vous invitons à jouer pleinement votre rôle d’acteur économique crédible et indépendant.


À retenir

66 % de hausse des coûts.
8 % de hausse salariale dans la même période.
Ce n’est pas le travailleur qui fait monter la facture.

Nos membres méritent mieux que d’être pointés du doigt.
Et Desjardins doit être à la hauteur de l’influence qu’elle exerce.

Construire le Québec exige de comprendre sa réalité.
Nous serons toujours là pour la rappeler — avec rigueur.

Marc-André Blanchette

Représentant technique, Union des opérateurs de machinerie lourde – Local 791

Retour en haut