
On parle sans cesse de « pénurie critique » dans la construction. Mais quand on regarde de plus près, ce n’est pas tant qu’il manque de bras : c’est que les heures de travail sont mal réparties et que trop de travailleurs vivent dans l’instabilité. La main-d’œuvre existe. C’est le système qui ne l’utilise pas correctement. L’article du Journal de Montréal
Des milliers de travailleurs disponibles… mais sous-employés
Chaque année, la construction affiche des dizaines de milliers d’actifs, mais une partie d’entre eux ne réussit pas à cumuler assez d’heures pour vivre dignement de leur métier.
- Plusieurs peinent à franchir le seuil des 800 à 1000 heures annuelles, loin d’un temps plein.
- D’autres enchaînent des périodes creuses et doivent chercher des alternatives en dehors de l’industrie pour arriver.
Résultat : on crée une illusion de rareté, alors que dans les faits, il y a du monde prêt à travailler. Ce sont les conditions et l’organisation des chantiers qui empêchent une pleine utilisation de la main-d’œuvre.
Des salaires impayés qui accentuent la fracture
À cela s’ajoute un autre fléau : le non-paiement. En 2024, plus de 25 millions de dollars en salaires impayés ont dû être réclamés. Ajoutez à cela une hausse marquée du travail non déclaré, et vous obtenez une industrie qui fragilise encore plus ses travailleurs. Quand tu n’es pas sûr d’être payé, tu n’attends pas des heures supplémentaires : tu cherches plutôt la sécurité ailleurs.
La sécurité : encore trop de victimes
La SST est un autre indicateur de distorsion. La construction, c’est seulement 5 % de la main-d’œuvre au Québec, mais près de 30 % des décès au travail. Les travailleurs ne refusent pas de monter sur les chantiers : ils veulent le faire dans des conditions qui les protègent. Mais tant que l’on tolère cette disproportion, l’industrie restera fragilisée.
Une industrie qui fonctionne à coups de portes tournantes
On appelle ça la « pénurie », mais c’est surtout une instabilité entretenue. La Commission de la Construction l’a bien démontré, avec ses propres chiffres : en une seule année, près de 29 000 personnes ont quitté l’industrie pendant que 25 000 entraient. Ce n’est pas que le bassin est vide, c’est qu’on gère la main-d’œuvre comme du jetable, en multipliant les contrats précaires et en ne stabilisant pas les heures de travail.
Les vraies solutions
Plutôt que de crier à la pénurie, il faut corriger les distorsions :
- Assurer plus d’heures annuelles aux travailleurs en réorganisant la gestion de la main d’oeuvre.
- Combattre le non-paiement et le travail clandestin, qui fragilisent la confiance dans le métier.
- Investir en prévention SST, pour que la construction cesse d’être le secteur le plus meurtrier.
- Stabiliser les parcours avec de meilleures clauses de sécurité d’emploi et du compagnonnage.
Mot de la fin
Tant que l’on tolérera des emplois précaires, des paies en retard et une formation sous-dimensionnée, l’industrie fabriquera la rareté qu’elle dénonce — et la population paiera la facture en chantiers retardés. L’heure n’est pas à “faire plus avec moins”, mais à faire mieux pour retenir : stabiliser les parcours, payer chaque heure, encadrer les jeunes par des compagnons, et remettre dans les mains de ceux qui connaissent le terrain la responsabilité du maillage, là où ça compte : sur le chantier, maintenant.